Le Congé pour reprise par le bailleur – Bail d’habitation

28 mai 2021

1 - Une reprise justifiée

Le congé pour reprise ne peut bénéficier qu'au bailleur et à certaines personnes qui lui sont proches.

La liste est fixée à l'article 15 (location nue) et 25-8 (location meublée) de la loi du 06 juillet 1989.

 

Pour faire bénéficier son conjoint ou son enfant du logement repris par exemple, le bailleur doit donc être une personne physique. Dans des cas particuliers, le bénéficiaire doit être identifié précisément :

- bien détenu en indivision : la lettre de congé doit préciser à quel indivisaire le congé bénéficie et s'il ne reprend pas lui-même à quel proche la reprise est destinée;

- bien démembré : l'usufruitier ayant la jouissance du bien et lui seul peut émettre le congé. Il peut reprendre le logement pour lui-même ou un de ses proches.

1-1 - Propriétaire bailleur - personne morale

Le bailleur devant être une personne physique, seule une SCI familiale, composée de parents et alliés jusqu'au 4ème degré (art.13 a de la loi de 1989) pourra invoquer ce motif de congé et ce au profit de l'un des associés ou de la personne liée à lui selon la liste citée ci-dessus. Attention, pour la validité du congé, il faudra justifier qu'il s'agit d'une SCI familiale éligible à ce congé afin que le locataire n'ait aucun doute sur la régularité du congé.

Pour les SCI non familiales, pour les SARL, pour les sociétés immobilières comme des foncières, le congé pour reprise est impossible.

1-2 - Justification

Le bailleur doit justifier d'une reprise réelle et sérieuse dès la notification de la lettre de congé (cf. les termes de l'article 15). Cette justification à l'appui d'un congé motivé est un ajout de la loi ALUR de 2014.

Ce durcissement de la règle à l'attention du bailleur est né d'un constat jurisprudentiel de congé pour reprise non réel allant jusqu’à frauduleux. Le but est d'inciter les bailleurs à utiliser ce motif de congé à bon escient, c'est un congé pour habiter.

Cette justification peut donc faire l'objet d'un contrôle d'opportunité par le juge, sur requête du locataire. Rappelons ici que cette législation s'applique également aux contrats en cours lors de l'entrée en vigueur de la loi ALUR en 2014, précision apportée par la loi du 06 août 2015.

1-3 - Une reprise réelle et sérieuse

- La reprise doit être à titre de résidence principale

La résidence principale est définie à l'article 2 de la loi du 6 juillet 1989 : « La résidence principale est entendue comme le logement occupé au moins huit mois par an, sauf obligation professionnelle, raison de santé ou cas de force majeure, soit par le preneur ou son conjoint, soit par une personne à charge».

 

Jurisprudence : Une reprise avait été faite pour utiliser le logement comme « pied-à-terre » alors que « le droit de reprise du bailleur supposait l'habitation des locaux à titre principal et non comme résidence secondaire» (Civ. 3e, 31 janvier 2001, n° 99-11956).

 

- La reprise doit se faire dans un délai raisonnable.

Il n’y a pas de délai impératif pour habiter les lieux. En cas de contestation du congé par le locataire, le juge examine les éléments soumis à son appréciation : travaux de rénovation nécessaires, date de retraite, problèmes de santé, raison professionnelle, maintien dans les lieux du locataire à l'issue du préavis ... Toutes ces situations peuvent retarder l'entrée dans les lieux du bénéficiaire sans que le congé ne soit remis en cause.

L'immédiateté de la reprise n'est donc pas un critère de fonds de ce congé.

 

Jurisprudence : Le bailleur n'a pas été en mesure d'apporter les preuves de ce qui l'empêchait d'habiter les lieux après un congé pour reprise. Ni les travaux effectués ni l'état de santé de sa mère ne justifiaient l'inoccupation des lieux pendant environ sept mois (Civ. 3e, 21 février 2001, n° 99-12261).

Le bénéficiaire de la reprise, le fils du bailleur, n'a intégré le logement que 10 mois après le départ de la locataire, en raison de son état de convalescence, ce qui n'a pas entaché le congé d'irrégularité (Civ. 3e, 18 novembre 1998, n° 96-21706).

Autre exemple, le bailleur a intégré le logement deux ans après le départ du locataire en raison de travaux. Ces travaux ont été reconnus comme une cause légitime d'inoccupation du bailleur (Civ. 3e, 5 janvier 2011, n° 09-67861).

 

- La reprise doit se faire pour une durée sérieuse.

Pas plus que le délai de reprise, cette durée d'occupation après reprise n'est précisée par la loi.

Si l'on se base sur le critère de résidence principale, cette reprise doit durer suffisamment mais les circonstances de vie peuvent obliger le bénéficiaire de la reprise à quitter ce logement (mutation, naissance, divorce, santé,... ).

Jurisprudence : En reprenant l'arrêt évoqué précédemment, les juges ont validé le congé pour reprise alors que le bénéficiaire de la reprise, ayant intégré le logement 10 mois après le départ de la locataire, ne l'a occupé que quatre mois et que ce logement a été remis en location ensuite. Les circonstances de l'espèce ont convaincu les juges et la locataire sortante n'a pas pu apporter la preuve de l'intention du bailleur de relouer après son départ (Civ. 3e, 18 novembre 1998, n° 96- 21706).

 

- La reprise ne nécessite pas un besoin de logement.

La loi ne prévoit pas ce critère, le congé pour reprise est admis alors que le bailleur ou le bénéficiaire qu'il désigne dispose d'autres possibilités de logement dans un secteur proche.

 

Jurisprudence : La Cour de cassation valide le congé pour reprise au bénéfice de la fille du bailleur, alors même que ce bailleur possédait un autre appartement libre depuis deux ans dans l'immeuble que sa fille aurait pu occuper : « le congé avait été délivré afin de permettre à sa fille, actuellement en retraite, de se rapprocher d'elle et les conditions de régularité du congé posées par l'article 15 de la loi du 6 juillet 1989 étaient remplies, la cour d'appel (. . .) a légalement justifié sa décision » (Civ. 3e, 19 mai 2004, n° 03-10576).

 

1-4 Le congé frauduleux

Le congé pour reprise doit être justifié a priori dans la lettre de congé et le juge, sur demande du locataire, peut en apprécier le sérieux mais cela n'empêche pas un contrôle a posteriori des juges sur la conformité de la reprise.

Les lieux sont-ils occupés par le bénéficiaire de la reprise et à titre de résidence principale ? Il est évident que si le logement est remis en location ou mis en vente sans que le bailleur ne puisse justifier de l'absence de reprise pour un motif sérieux, le congé sera frauduleux.

 Devant le juge, le bailleur devra apporter la preuve que la reprise a été impossible et du caractère imprévisible et irrésistible (indépendant de sa volonté) que cette situation a eu pour lui.

L'article 15 prévoit, en cas de congé frauduleux, une amende pénale d'un montant maximum de 6 000 € pour une personne physique et 30 000 € maximum pour une personne morale.

 

Jurisprudence : La jurisprudence admet le défaut d'occupation par le bénéficiaire de la reprise en cas d'impossibilité. Après avoir donné congé, le bailleur bénéficiaire du congé n'a finalement pas repris le logement pour raison de santé. Sa bonne foi ne pouvait pas être remise en cause, le problème de santé étant survenu après avoir donné congé (Civ. 3e, 13 juillet 2005, n° 04-12577). Autre exemple, le maintien du locataire dans les locaux plusieurs mois après le terme du préavis impose au bailleur de se reloger ailleurs (CA Toulouse, 23 septembre 2008).

 

2 - Les conditions de délai

Un congé ne peut être donné que pour l'échéance du bail. Cette dernière se calcule à compter de la prise d'effet du bail même si celui-ci a une date de signature antérieure.

Pour rappel :

- bail nu : échéance triennale avec délai de préavis de 6 mois;

- bail meublé : échéance annuelle avec délai de préavis de 3 mois.

 

Pour le calcul du délai, le préalable est de connaître la date d'échéance du bail. Ensuite c'est la règle dite «de quantième à quantième» qui s'applique avec quelques subtilités.

Exemple pour un contrat type de location nue :

Date de prise d'effet du bail : 10/03/2020  

Date d'échéance triennale : 09/03/2023  

Date maximum de réception du congé : 09/09/2022

2-1 Le congé d'un bien acquis occupé : le report du congé

Ce dispositif, créé par la loi ALUR puis modifié par la loi du 6 août 2015, est venu conditionner le congé après acquisition selon l'intervalle entre l'échéance du bail et la date d'acquisition du bien.

Le congé s'en trouve reporté. Ce report du congé ne concerne que les locations nues.

 

Lorsque le terme du contrat en cours intervient moins de deux ans après l'acquisition, le congé pour reprise donné par le bailleur au terme du contrat de location en cours ne prend effet qu'à l'expiration d'une durée de deux ans à compter de la date d'acquisition.

Par conséquent, le bailleur doit adresser le congé pour la fin du bail mais son effet est reporté.

 

Si le terme du bail intervient au moins deux ans après l'acquisition, il n'y a pas de report du congé, il sera pour l'échéance du bail.

Exemple de report du congé

Date de prise d'effet du bail : 01/12/15

Date d’acquisition : 09/03/2021

Prochaine échéance du bail : 01/12/2021

Date de prise d'effet du congé pour reprise : 09/03/23

 

3 - Formalisme

3-1 L'émetteur du congé

Il ne peut être que le bailleur, l'usufruitier pour un bien démembré, tous les associés d'une SCI familiale ou son gérant si les statuts lui en donnent le pouvoir.

Si le bien loué est en indivision, le congé (considéré comme un acte d'administration) nécessite l'accord des indivisaires titulaires d'au moins 2/3 des droits indivis (article 815-3 du Code civil).

 

3-2 Le destinataire du congé.

Chaque locataire doit individuellement recevoir le congé en cas de colocation, mais également chaque époux ou partenaire pacsé, à moins de détenir un mandat en cours de validité donnant pouvoir à l'un ou à l'autre de réceptionner les courriers.

Toutefois, la loi prévoit le cas de défaut d'information du bailleur en cas de changement de situation du locataire. Ainsi, selon l'article 9-1 de la loi de 1989 : « les notifications ou significations faites en application du présent titre par le bailleur sont de plein droit opposables au partenaire lié par un pacte civil de solidarité au locataire ou au conjoint du locataire si l'existence de ce partenaire ou de ce conjoint n'a pas été préalablement portée à la connaissance du bailleur».

Si le bail a été signé avec un seul des époux avec un mariage en cours de bail dont le bailleur n'a pas été informé, la preuve incombera au locataire selon ce texte.

 

Attention, cette règle ne s'applique pas aux locations meublées.

 

Jurisprudence : Le locataire « ne justifiait pas avoir porté, par une démarche positive, à la connaissance de la société bailleresse le fait qu'il était marié ». En l'espèce, dans le cadre d'une procédure d'expulsion, la femme du locataire soutenait que le bailleur ne pouvait que connaitre son existence dans la mesure où elle réglait des loyers par chèque, que le bailleur avait adressé au couple un courrier avec l'entête « M. et Mme ». Malgré ces éléments, les juges ont appliqué à la lettre le principe de l'article 9-1 (Civ. 3e, 29 octobre 2013, n° 12-23138).

3-3 Le contenu du congé

A peine de nullité, la lettre de congé doit indiquer plusieurs précisions :

- l'identification du bénéficiaire (nom, prénom, adresse)

- la nature du lien avec le bailleur (dans le respect de la liste précitée) si la reprise ne lui bénéficie pas directement;

- le motif réel et sérieux de la reprise : rapprochement du lieu de travail, retraite, mutation, études, rapprochement familial pour soutien, séparation,…

L’article 15 de la loi de 1989 n’exige pas de l’auteur du congé qu’il annexe à la lettre de congé, le justificatif du motif de la reprise.

 

3-4 La remise de la lettre de congé

Le congé doit être notifié par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou signifié par acte d'huissier ou remis en main propre contre récépissé ou émargement.

Le récépissé de la poste ou l'acte de l'huissier seront des preuves incontestables de remise du congé.

 

Pour rappel, la date faisant foi pour le congé délivré par lettre recommandée est celle de la réception effective et non pas celle de la première présentation.

Cela signifie qu'en cas de refus de remise en main propre, de non retrait de la lettre recommandée, il faut se préserver un délai suffisant pour faire signifier le congé par huissier de justice en respectant le préavis de 6 mois.

 

Durant le délai de préavis, le locataire n'est redevable du loyer et des charges que pour le temps où il occupe réellement les lieux et le locataire peut quitter le logement à tout moment pendant ce préavis.

 

3-5 La notice d'information

Depuis le 1er janvier 2018, une notice d'information relative aux obligations du bailleur et aux voies de recours et d'indemnisation du locataire doit être jointe au congé pour reprise. Cette notice d'information est prescrite à peine de nullité du congé.

Quelles informations contient cette notice ? Elle reprend les dispositions de la loi de 1989 et plus particulièrement l'article 15, le règlement du litige portant sur le congé, amiable ou judiciaire.

Cette notice ne s'applique pas au congé pour reprise d'un logement loué meublé.

4- La protection du locataire âgé

Le droit de donner congé pour reprise est conditionné par la protection du locataire âgé.

L'article 15, III de la loi de 1989 en détaille les modalités.

4-1 Droit au maintien du bail

Le bailleur ne peut s'opposer à la poursuite du bail si le locataire remplit deux conditions cumulatives : il est âgé de plus de 65 ans et ses ressources annuelles sont inférieures à un plafond de ressources en vigueur pour l'attribution des logements locatifs conventionnés (dispositif Borloo ancien avec déduction spécifique de 45% ou 60%, secteur social).

 

Cette protection s'applique également au locataire ayant à sa charge une personne de plus de 65 ans vivant habituellement dans le logement et lorsque le montant cumulé des ressources annuelles de l'ensemble des personnes vivant au foyer est inférieur au plafond de ressources évoqué ci-dessus.

 Plafond de ressources annuelles en euros selon le revenu fiscal de référence

Avis d'imposition établi au titre de l'avant-dernière année précédant celle de la signature du bail

 

4-2 Les exceptions au principe de continuité du bail

 - Relogement du locataire âgé

Pour valider le congé auprès du locataire âgé entrant dans les conditions de protection de la loi, le bailleur doit lui rechercher un logement en s'assurant de l'aval des propriétaires.

 

Les propositions de relogement doivent correspondre aux besoins, aux ressources et aux possibilités du locataire (superficie, accessibilité, environnement, services à proximité, montant du loyer, conformité à l'état de santé,... ).

 

S'y ajoutent les limites géographiques :

- dans le même arrondissement ou les arrondissements limitrophes ou les communes limitrophes de l'arrondissement où se trouve son logement actuel, si celui-ci est situé dans une commune divisée en arrondissements;

- dans le même canton ou dans les cantons limitrophes de ce canton inclus dans la même commune ou dans les communes limitrophes de ce canton si la commune est divisée en cantons;

- sur le territoire de la même commune ou d'une commune limitrophe, sans pouvoir être éloigné de plus de 5 km dans les autres cas.

 

Le bailleur n'a pas l'obligation de faire des offres de relogement au moment de l'envoi de la lettre de congé. Il est même conseillé de demander les informations relatives à l'âge et aux ressources du locataire en annexe de la lettre de congé pour vérifier s'il bénéficie de la protection légale pour ensuite lui transmettre, le cas échéant, des offres de relogement.

 

Il est important de retenir que si les offres de relogement doivent être sérieuses, il n'y a pas d'obligation de résultat de relogement du locataire.

 

Jurisprudence : Les offres de relogement peuvent être simultanées au congé ou postérieures pendant le préavis, aucune notion de délai raisonnable n'est évoquée par la Cour de cassation ici (Civ. 3e,2 juin 2010, n° 09-66698).

La haute cour a validé une offre de relogement faite le dernier jour du préavis, quatre offres avaient été faites antérieurement et plus précisément dans les trois dernières semaines du préavis. La Cour d'appel de Versailles n'avait pas vérifié à quelle date le bailleur avait été informé des revenus des locataires, information nécessaire au bailleur avant de faire des offres de relogement, (Civ. 3e, 28 janvier 2016, n° 14-26418).

Sous réserve de l'interprétation souveraine des juges, on peut conseiller au bailleur qui est informé suffisamment tôt dans le délai de préavis des ressources du locataire de lui faire des offres de relogement dans un délai raisonnable et non le dernier jour du préavis.

La jurisprudence retient qu'une offre faite antérieurement au congé est irrégulière si elle n'est pas réitérée avec le congé, elle doit être en lien avec celui-ci (Civ. 3e, 26 juin 1996, n° 94- 13472).

Lorsque le locataire oppose un refus non justifié à trois propositions de logements correspondant aux critères, le bailleur a satisfait à son obligation de relogement (CA Toulouse, 31 octobre 1995).

 

- Bailleur âgé ou disposant de ressources modestes

Lorsque le bailleur est une personne physique âgée de plus de 65 ans ou si ses ressources annuelles sont inférieures au plafond de ressources mentionné ci-dessus, la protection du locataire âgé ne s'applique pas. Ici les conditions ne sont pas cumulatives.

A noter, l'âge du locataire, de la personne à sa charge et celui du bailleur sont appréciés à la date d'échéance du contrat et le montant de leurs ressources est apprécié à la date de notification du congé.